18/03/1872,
Procès pour la bienfaisance : Chartainvilliers retrouve ses droits
N° 2643. COMPETENCE – ”PROPRIETE?-” COMMUNES – INDIVISION – PARTAGE – HOSPICE – SUPPRESSION – RETABLISSEMENT.
Les tribunaux civils sont compétents pour statuer sur toutes les questions de propriété, qu’elles concernent des particuliers ou des communes ou des Établissements publics, et spécialement pour partager une propriété indivise entre plusieurs communes.
Ils sont incompétents pour ordonner le rétablissement d’un hospice supprimé et remplacé par un bureau de bienfaisance.
Commune de Maintenon c. commune de Villiers-le-Morhier et autres.
18 mars 1872 – 1re chambre.
Par acte notarié du 7 octobre 1731, le maréchal de Noailles et son épouse ont fondé à Maintenon un hospice destiné, selon les termes mêmes de l’acte de fondation, au soulagement des pauvres tant du marquisat de Maintenon que de la châtellenie de Villiers et paroisses dépendant de ces terres; cet hospice devait recevoir les vieillards infirmes, les pauvres malades, les orphelines des lieux désignés et distribuer en outre des secours à domicile à Maintenon; la fondation a été régulièrement approuvée par l’autorité administrative. Après avoir fonctionné, grâce surtout aux libéralités de la famille de Noailles, l’hospice a subi le contre-coup des agitations révolutionnaires et vers 1793 la suspension du payement des rentes qui en formaient la principale ressource a obligé les administrateurs à fermer l’hospice, à transporter le mobilier soit à l’hospice de Chartres, soit ailleurs, à louer la maison et à borner leur action à la distribution des secours à domicile, aux pauvres de Maintenon.
Par une ordonnance royale du 20 mai 1844 l’hospice a été transformé en bureau de bienfaisance. Les communes de Villiers et de Chartainvilliers, prétendant avoir fait autrefois partie de la communauté au profit de laquelle l’hospice avait été constitué, ont assigné le bureau de bienfaisance et la commune de Maintenon; ils demandent soit le rétablissement de l’hôpital dans son État primitif, soit le partage des revenus affectés audit hôpital au prorata de leur population et de leurs pauvres.
Le tribunal civil de Chartres, par jugement du 15 janvier 1869, s’est déclaré incompétent en ce qui concerne le rétablissement de l’hôpital dans son état primitif et a ordonné le partage annuel des revenus affectés à la dotation, de l’ancien hôpital de Maintenon entre les communes de Villiers-le-Morhier, Chartainvilliers et Maintenon dans la proportion de leurs populations et de leurs pauvres, savoir dix quinzièmes à Maintenon, trois quinzièmes à Villiers et deux quinzièmes à Chartainvilliers.
Appel par la commune de Maintenon.
« La Cour ;
En ce qui touche la mise hors de cause de la commune de Maintenon ;
Considérant que la demande des communes de Villiers et de Chartainvilliers a pour objet l’attribution et le partage du revenu des biens affectés au bénéfice d’une communauté dont faisaient partie Villiers, Chartainvilliers et Maintenon ;
Qu’elles avaient intérêt à appeler la commune de Maintenon dans l’instance et qu’elle doit y être maintenue ;
– Sur la prescription ;
Considérant que par acte devant Ballot notaire, le 7 septembre 1731, le duc et la duchesse de Noailles ont fondé un hospice dans la ville de Maintenon pour le soulagement des vieillards et des pauvres du Marquisat de Maintenon et de la Châtellenie de Villiers ; qu’ils avaient affecté à cette fondation divers biens et notamment un bâtiment leur appartenant dans la ville de Maintenon ;
Considérant que cet hospice subsisté dans les termes de l’acte de fondation jusqu’à la révolution de 1789 ;
Qu’un décret du 23 messidor an II a prononcé la confiscation des biens des hospices et que par suite l’hospice de Maintenon a cessé d’exister ;
Que ses biens lui ont été rendus par décret du 16 vendémiaire an V ;
Qu’en vertu de ce décret une commission a été nommée par la municipalité de Maintenon et qu’elle a fonctionné jusqu’en 1844 sous le nom de commission de l’hospice de Maintenon;
Considérant que, pendant tout l’espace de temps qui s’est écoulé entre l’an V et l’année 1844 ladite commission administrative, soit qu’elle ne l’ait pu, soit qu’elle ne l’ait pas voulu, n’a pas rétabli l’hospice ;
Que les bâtiments qui en dépendaient sont restés affectés à des usages particuliers, moyennant un prix de location et que la commission s’est bornée à percevoir les revenus des biens de l’hospice en les employant toutefois au soulagement des pauvres, mais par des distributions à domicile et exclusivement, dans l’intérêt des habitants de la commune de Maintenon ; Considérant que pendant tout l’espace-temps qui s’est écoulé entre l’an V et l’année 1844 ladite commission administrative a cessé d’exister par l’effet d’une ordonnance royale en date du 20 mai de ladite année, qui a transformé l’établissement connu sous le nom d’hospice de Maintenon en bureau de bienfaisance ;
Considérant qu’aucun moyen de prescription n’est invoqué et ne saurait être invoqué jusqu’à l’époque de la révolution de 1789 ; que de l’an II à l’an V tous les droits ont été suspendus et qu’il n’a pu se produire aucun fait pouvant servir de base à la prescription ;
Considérant que la commission nommée par la municipalité n’a pas rétabli l’hospice, qu’elle n’a pas continué l’œuvre de l’ancienne administration et qu’elle n’en a pas continué la personnalité morale ; qu’elle ne trouvait dans la loi de l’an V le principe d’aucune personnalité civile ; qu’elle n’a agi pendant toute la période de son existence que comme simple dépositaire mandataire agissant pour le compte d’autrui, n’ayant en cette qualité qu’une position précaire, qui ne pouvait engendrer à son profit ni prescription acquisitive ni prescription libératoire ; que depuis 1844 il ne s’est pas écoulé un temps suffisant pour que la prescription soit acquise au profit du bureau de bienfaisance ;
– Au fond :
Considérant que les territoires des communes de Villiers et de Chartainvilliers faisaient autrefois partie soit du Marquisat de Maintenon, soit de la Châtellenie de Villiers et que le droit des habitants de ces communes de profiter pour leurs pauvres et leurs malades du bénéfice des libéralités consenties par le duc et la duchesse de Noailles est incontestable ;
Qu’il existe, il est vrai, dans l’acte de 1731, une clause dans laquelle il est dit que si, après avoir satisfait à tous les besoins de l’hospice, il restait un excédant, il serait employé à des distributions à domicile aux habitants de Maintenon, mais qu’il est établi que tant qu’a subsisté l’hospice il n’y a jamais eu d’excédant et qu’il y a toujours eu au contraire insuffisance;
Qu’il est inadmissible qu’après avoir supprimé l’hospice, la commune de Maintenon puisse se faire un titre de cette clause, pour absorber à son profit le bénéfice d’une donation dont les biens étaient affectés à un usage commun ;
Considérant qu’il appartient à la juridiction civile ordinaire de statuer sur toutes les questions de propriété, soit qu’elles concernent les particuliers, soit qu’elles concernent les communes ou établissements publics ;
Que ce droit emporte celui de déterminer la quotité dans les propriétés indivises, puisque la différence entre le plus et le moins est l’affirmation pour l’un et la négation pour l’autre du droit de propriété quant à cette différence ;
Que les bases fixées et la proportionnalité admise par les premiers juges sont justes et équitables et qu’il y a lieu de les maintenir ;
Sur le rétablissement de l’hospice :
– Considérant que les principes sur la séparation des pouvoirs s’opposent à ce que la Cour ordonne le rétablissement de l’hospice qui a été supprimé et remplacé par le bureau de bienfaisance ;
– Sur la demande en partage :
Considérant que le partage a pour objet de spécifier et de déterminer les choses sur lesquelles pourra s’exercer le droit de propriété;
Qu’en y procédant, les communes font des actes de propriétaires, et non des actes administratifs ;
Adoptant au surplus les motifs des premiers juges ;
Confirme. -»
M. Rohault de Fleury, pr.; M. Chevrier, subst.; MMes Payen et Jardin, avocats ; MMes Dumont et Deroulède, avoués.
Source : gallica.bnf.fr
Titre : Bulletin de la Cour impériale de Paris / publié sous le patronage de M. le premier président, de M. le procureur général et de M. le bâtonnier de l’Ordre des avocats ; [sous la direction de Victor Bournat]