Si les Maires sont les élus les plus connus et reconnus par les habitants, les modalités de leur désignation n’ont pas toujours été celles du suffrage universel.
De même, leurs missions ont singulièrement évolué au fil des siècles.
Une origine millénaire (1)
C’est au IXe siècle, que l’abbé Irminon (†829), dans un ouvrage où il décrit les biens détenus par l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, emploie le terme major quand il parle du représentant du domaine.
Les premiers Maires étaient en effet des « administrateurs de domaines », généralement pour le compte des ordres religieux principaux détenteurs des biens fonciers.
Selon le jurisconsulte Charles Loyseau (1566-1627) , bailli de Châteaudun, les mairies couvraient le sol beauceron, tout particulièrement dans les domaines de l’Eglise.
La mairie représentait le district soumis à l’administration et à la juridiction du maire. Elle comprenait en général plusieurs hébergements ou fermes bâties, des hospices, des métairies, manoirs occupés par des hommes de corps, des hôtes ou des colons, et les droits féodaux assis sur les immeubles.
Ainsi, en Beauce , “Les maires étaient les principaux officiers ruraux du Chapitre .
Ils cumulaient tout à la fois les fonctions de juges-de-paix, de commissaires de police, d’intendants, de gardes champêtres et de collecteurs d’impôts.
Ces attributions variées en firent promptement des personnages, et, quoique partis, pour la plupart, dans l’origine, des rangs du servage, ils étaient parvenus, dès la fin du XIe siècle, à rendre leurs offices héréditaires et à régner en maître sur leurs administrés.
Ils relevaient d’abord des prévôts et un peu des sergents des prévôtés , et, selon l’ordinaire, ils enchérissaient sur les exactions de leurs supérieurs” .
Au XIIe siècle, les plaintes des paysans contre les prévôts et leurs acolytes ayant appelé l’attention du Chapitre sur la gestion des Maires, quelques mesures furent prises pour refréner l’esprit de rapine de ces officiers. On leur imposa, sous l’épiscopat de Goslein de Lèves (1148-1155), un serment.
Ce serment, que chaque maire devait renouveler au Chapitre tous les deux ans, obligeait ceux qui le prêtaient à jurer de :
– n’exiger à l’avenir des paysans de leurs mairies, ni or, ni argent, ni froment, ni avoine, ni épaules de porcs, ni gâteaux, ni œufs, ni corvées de culture ou de filage de laine, ni brebis, ni agneaux, ni oies, ni poules, rien en un mot qui ressemblât à une exaction ;
– de ne pas tenir de plaids et de ne pas ajourner en justice sans l’ordre du prévôt ou de son délégué ;
– de ne pas souffrir que les sergents du prévôt prissent gîte chez les paysans et les poursuivissent de leurs vexations de veiller avec fidélité sur les revenus des chanoines de ne toucher les lots et ventes qu’après avoir présenté l’acquéreur au Chapitre ;
– de poursuivre la rentrée des cens dus à l’église aux termes prescrits et de les verser dans les quinze jours à la chambre aux deniers ;
– d’empêcher que les hommes et femmes de corps et les autres biens de Notre-Dame lui fussent soustraits, et de ne pas s’emparer d’une partie quelconque du domaine canonial.
Nous ignorons si ce serment produisit tout d’abord beaucoup d’effet, et si la substitution des chanoines prébendiers aux prévôts dans la gestion des biens du Chapitre modéra les tendances usurpatrices des maires. Nous pensons, toutefois, qu’à mesure que le temps poussa les paysans vers une condition meilleure, les exigences de leurs intendants éprouvèrent plus de résistance.
Droits et devoirs
L’examen de documents aux archives départementales d’Eure-et-Loir permet de préciser la mission de ces premiers Maires.
Ainsi, « en 1175, le maire du Gault-Saint-Etienne avait la charge de compter les gerbes du champart et de la dîme dans les champs et dans la grange, et le bénéfice de son fief correspondant à ce service était représenté par les menues pailles de la grange, les déchets des gerbes avant et après le battage, une mine de grain de chaque hôte possédant une paire de bœufs et une demi-mine des autres. Le maire tenait la moitié de ce fief du seigneur de Courtalain et l’autre moitié du Chapitre ; »
« En 1226, le fief de Hugues le Noir, maire d’Ingré, comprenait deux batteurs en grange, la moitié de toutes les menues pailles, un trait de dîme à un cheval sur toutes les terres dîmées, une gerbe de blé d’hiver ou deux gerbes d’avoine chaque jour qu’il chariait à la grange, la moitié de tous les déchets restés sur l’aire après l’enlèvement du grain à la pelle, et la dernière mine dudit grain si elle n’était pas tout-à-fait complète. … Ce maire possédait encore deux sous pour quatre charrois, six deniers par poules à Noël, la moitié des champarts de sa baillie, … une jallée de vin moyen par jaugeage dans les ventes de fûts de vin un denier par bornage, la moitié des ratelages des prés, et 50 arpents de terre, mesure d’Orléans tant en labour qu’en vignes et prés, quittes de tailles et corvées, sauf la justice et la dîme comptée.
Ces exemples suffisent à faire connaître en quoi consistaient les devoirs, les droits et les émoluments du maire beauceron au XIIIe siècle. On peut se figurer facilement que certaines mairies constituaient des fiefs fort enviés, même par la noblesse et que le Chapitre avait quelquefois de la peine à exiger des titulaires de ces offices les devoirs presque serviles auxquels la coutume les astreignait.
Aussi, toutes les fois qu’ils le purent, les chanoines saisirent-ils l’occasion de convertir les droits des maires en pensions fixes ou de racheter les mairies. Ils y trouvèrent l’avantage d’avoir dans ces postes des hommes beaucoup plus à eux et beaucoup plus facilement révocables en cas de mauvaise gestion.
Par suite de ces acquisitions, l’église augmenta le nombre de ses précaires ou prêtrières [comme ce fut le cas à Chartainviliers].
Les autres établissements de main-morte et les seigneurs laïcs avaient aussi des Maires. Ce que nous avons dit des attributions des maires du Chapitre s’applique aux officiers du même ordre répandus dans toute la Beauce.
Le Chapitre était sévère envers les Maires. Les registres capitulaires les plus anciens (1300-1314) sont remplis de condamnations à des amendes, prononcées contre des maires, pour avoir mal gardé les terres et bois de l’église.
Dans le principe, tous les maires du Chapitre étaient de condition servile ; leur affranchissement commença à devenir général dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Peu à peu, ils accrurent leur puissance, et la plupart d’entre eux devinrent la souche des plus riches familles bourgeoises, et même de seconde noblesse, du pays chartrain. » .
D’ailleurs, on peut préciser qu’un Maire de Chartainvilliers, vers le XVe ou XVIe siècle, contractera une alliance avec la famille de LANDES d’HOUVILLE. Famille noble, originaire de Gênes, venue s’installer en Beauce au XIVe siècle et qui donnera des conseillers à la grand-chambre du Parlement, des magistrats, ainsi qu’un Prévost de Paris en 1438. (2)
Par l’édit royal de 1692 sont créés un office de maire et des offices d’assesseurs en remplacement des syndics choisis par les assemblées d’habitants. La vente des nouveaux offices permet de renflouer les caisses de l’État. Des édits de 1764 et 1765 tentent de briser ce système arbitraire en proposant un maire choisi par le roi sur proposition de trois candidats. L’administration municipale reste sous le contrôle de l’intendant général jusqu’à la Révolution française.
(1) d’après le Cartulaire de Notre-Dame de Chartres, tome 1 publié par la Société archéologique d’Eure-et-Loir (1862) – Gallica Bnf.
(2) Dictionnaire universel de la Noblesse de France tome 3 – Gallica-BNF